samedi 4 janvier 2014

Les garçons et Guillaume, à table! (2013)

Les garçons et Guillaume, à table!
Réalisateur: Guillaume Gallienne
(2013)


Thèmes principaux: La quête et le malentendu identitaire, le climat incestuel, l'individuation, la résilience, la genèse de l'art de l'interprétation, l'étude de mœurs d'une famille de la grande bourgeoisie. L'illusion/la réalité; la comédie/la tragédie; le rire/les larmes; le théâtre/le cinéma.

Résumé: Parce qu'il ne ressemble ni à son père ni à ses frères, virils et athlétiques, le petit Guillaume s'identifie à sa mère qui le fascine et qu'il parvient à incarner de façon si parfaite que tout le monde s'y laisse prendre. Mais à ce petit jeu, Guillaume finit par se perdre... Il se retrouve emprisonné dans les désirs de sa mère (ou ce qu'il croit être ses désirs, ceux-ci n'étant pas formulés clairement) et même son corps est absorbé par celui de sa génitrice (Guillaume jouant les deux rôles).


 Le comportement efféminé du petit Guillaume renvoie à sa famille une image dérangeante. Alors elle préfère le cataloguer comme homosexuel dès son plus jeune âge et l'éloigner le plus possible de la maison. La confusion la plus totale règne dans la tête de Guillaume, objet de tous les fantasmes et de toutes les brimades.


Malgré tous ces boulets, Guillaume survit, grandit, avance, cahin-caha, et petit à petit, parvient à se construire et à affirmer ses propres choix, en rupture totale avec ceux des personnes qui "avaient choisi pour lui". Il peut alors enfin s'affirmer face à sa mère qui cesse enfin d'être "lui" (ou lui d'être "elle"). A tous points de vue, il devient acteur.

Quelques scènes-clé:








-La scène de la chambre, des toilettes et de la salle de bain. Ce sont des illustrations du climat incestuel dans lequel grandit Guillaume. Que fait ce petit garçon dans la chambre de sa mère? Pourquoi le lit maternel est-il si omniprésent (au point d'être le seul décor dans la pièce de théâtre)? Pourquoi n'y voit-on jamais le père? Un lit où la mère se prélasse en majesté et autour duquel gravite Guillaume (quand il ne cherche pas à s'asseoir dessus ou à entrer dedans). Cette mère qui ne ferme pas la porte quand elle va aux toilettes et ce père qui ne ferme pas la porte de la salle de bains quand il se promène les fesses à l'air.
Conséquences: la confusion règne. Confusion des rôles: la mère envahit la place de l'enfant et l'enfant est privé d'identité, simple miroir du narcissisme de sa mère. Confusion des genres. Guillaume qui est pourtant génétiquement un garçon est complètement vampirisé par sa mère au point d'en perdre toute identité masculine.





- La scène de la sévillane. Guillaume est envoyé en voyage linguistique en Espagne. Hébergé chez une certaine Paqui, il apprend à son contact à danser la sévillane avec le perfectionnisme qui le caractérise. Seulement ce qu'il ne sait pas, c'est que Paqui lui a appris la version féminine de la danse ce qui provoque l'hilarité de l'assistance. Lorsque Guillaume l'apprend, il est tout heureux de faire ce cadeau à sa mère qui selon lui a toujours voulu qu'il soit une fille.
Paqui est clairement un double de la mère de Guillaume. En lui apprenant à danser comme une fille, elle laisse entendre qu'elle le considère comme tel ce qui est exactement l'attitude de la mère de Guillaume lorsqu'elle lance des "ma chérie" ou des "garçons et Guillaume à table" à son fils.
NB: la référence à Almodovar est évidente dans toute cette séquence, ainsi qu'à celle du tango de Certains l'aiment chaud de Billy Wilder.





-Sissi. Persuadé qu'il est une fille déguisée en garçon, Guillaume s'imagine dans la peau de Sissi et sa mère dans celle de l'archiduchesse Sophie. Son père le découvre affublé d'une couette autour de la taille (pour la crinoline) et d'un pull sur la tête (pour les cheveux). Guillaume prétend qu'il a froid la nuit ce qui pousse son père à augmenter le chauffage.
Dans cette scène, le père apparaît comme l'intrus qui brise le duo fusionnel mère-fils et interrompt le "cinéma" de Guillaume. Néanmoins ce père est bien trop éloigné de son fils et trouble lui-même pour jouer correctement son rôle. D'autant que lui aussi ne considère pas Guillaume comme un véritable garçon.











-La scène de la piscine. C'est toujours dans la peau d'une fille que Guillaume part en pension dans un collège anglais. Cet environnement plus tolérant lui permet de s'épanouir et de tomber amoureux du beau Jérémy (beaucoup de références ici à Maurice de James Ivory). Mais celui-ci n'a d'yeux que pour Lizzie au grand désarroi de Guillaume qui lorsqu'il le découvre touche littéralement le fond.
Cette scène magnifique peut s'interpréter de plusieurs façons. Evidemment comme un chagrin d'amour qui fait perdre pied à Guillaume. Mais aussi comme un "retour dans l'utérus". Guillaume tombe en position fœtale et baigne dans le liquide amniotique. A nouveau, il est absorbé dans le corps (et dans l'âme) de sa mère. Encore pire, lorsqu'il veut sortir la tête de l'eau, l'un de ses frères la lui replonge comme s'il l'empêchait de (re)naître. Et pour couronner le tout, sa mère apparaît pour lui faire comprendre qu'elle ne le considère pas comme une fille mais comme un garçon qui aime les garçons (en contradiction avec ce que pourtant elle lui laisse entendre).
Guillaume est dévasté. Cet amour de midinette qu'il portait à Jérémy et qui était en réalité une demande d'affection et de tendresse (car Jérémy le consolait quand il se faisait humilier) se retrouve réduit par sa mère à du sexe. Lui qui croyait être dans la norme ("ta fille qui est attirée par un garçon, c'est on ne peut plus hétéro ça!") est renvoyé à une marge, une anormalité, une monstruosité de la nature.







-Les scènes de spa. Elles sont essentielles pour comprendre l'ambivalence sexuelle dans laquelle se débat Guillaume ainsi que les ravages de l'emprise que sa mère a sur son corps. La succession de deux scènes de spa, d'abord avec le masseur puis avec Ingeborg suggère l'ambivalence même si Guillaume semble plus émoustillé par Ingeborg (avant son lavement musclé!)
Mais surtout on a l'illustration ici de l'emprise que la mère a sur la sexualité de son fils. Guillaume s'avère passif et frigide car pour sa mère la sexualité se résume à "fermer les yeux" et à penser "à l'Angleterre". Conséquence n°1: Guillaume se retrouve coupé de toute la façade avant de son corps (la façade active) et n'a accès qu'à la façade arrière (la façade passive) autrement dit il est castré psychiquement. Conséquence n°2: l'accès au plaisir lui est interdit. Après un massage qui s'apparente à une séance de torture, il se retrouve en compagnie d'une femme brutale qui lui inflige un viol, illustration du climat incestuel dans lequel il baigne depuis toujours. Guillaume ressort de ces scènes brisé de partout.

-La scène de la boîte gayparoxysme du climat incestuel. Plus que jamais sous l'emprise de sa mère, Guillaume plonge dans ce milieu en théorie pour se chercher en réalité pour tenter de réaliser son désir à elle. Seulement le malentendu est total une fois de plus. Lui ce qu'il cherche c'est de l'amour, de la tendresse, de l'attention. Ce qu'on lui propose se réduit à du sexe et seulement à du sexe. Voilà pourquoi la boîte est dépeinte comme un lieu glauque et souterrain ainsi que l'appartement d'où Guillaume s'échappe in extremis.



- La scène du cavalier russe: Guillaume qui tente à nouveau d'avoir une expérience homosexuelle se retrouve face au membre proéminent d'un homme "monté comme un cheval". Et bien sûr, il panique ("j'ai eu beau essayer de penser à l'Angleterre, je n'y arrivais pas du tout") et sa mère intervient dans sa tête pour lui signifier que cette expérience est vouée à l'échec ("Tu as toujours eu peur des chevaux... ça ne peut pas marcher"). Néanmoins, il fait une prise de conscience, celle de sa peur de la virilité en général et de la sienne en particulier.

-La scène d'équitation. Scène de plénitude, elle permet à Guillaume de se "redresser à la verticale" (selon les mots même du réalisateur). En lâchant prise et en ne faisant plus qu'un avec sa monture, il apprivoise son corps ("l'animal qui est en lui") et entre enfin en communion avec lui-même. Son professeur apparaît comme un père bienveillant (tout comme l'un de ses psy) qui l'aide à accomplir ce cheminement par lequel en découvrant sa masculinité, il se sépare de sa mère.



-Amandine: L'heure de la délivrance a sonné. Enfin en possession de tous ses moyens, sûr de lui et épanoui Guillaume est prêt à rencontrer l'amour. Qui se présente sous la forme d'une jeune femme lors d'un dîner de filles où cette phrase salvatrice est prononcée "Les filles et Guillaume à table!" L'ambiance est à l'opposée des scènes précédentes. La scène a lieu sur les toits au soleil couchant. Elle est lyrique, lumineuse et douce. On touche le ciel après avoir côtoyé l'enfer.
Guillaume tombe amoureux de la jeune femme qu'il a rencontré à ce dîner. Celle-ci lui rend son amour et ils décident de se marier. Il affirme alors son choix devant sa mère pour qui cette hétérosexualité est un véritable séisme. En effet, l'emprise qu'elle avait sur lui avait pour but inconscient de l'empêcher d'avoir accès aux autres femmes. C'est à ce moment là que sa mère change de visage. Elle n'est plus incarnée par lui mais par une actrice. Le fils s'est émancipé et a enfin réussi à devenir un homme, sinon aux yeux de sa mère du moins vis à vis de lui-même.

Analyse:
 Au cœur du film, il y a l'alchimie: celle qui transforme le plomb en or, les larmes en rire (ou vice-versa) et le traumatisme en art. L'ambivalence est partout.
La relation fusionnelle avec la mère est une source de souffrances mais elle est aussi montrée comme étant à l'origine de l'incroyable faculté que Guillaume a pour se glisser dans la peau des femmes et pour les incarner. Telle une éponge, il absorbe tout ce qu'il voit et entend avec une facilité déconcertante. Et celles qu'il préfère regarder et écouter, ce sont les femmes qu'il incarne avec génie, jusqu'au souffle qui les distingue des hommes (" Ainsi, je les ai tous appris...tous les souffles, toutes ces respirations qui faisaient battre mon coeur à l'unisson avec les femmes.")


De même, son décalage avec le reste de la société l'expose à de terribles humiliations mais le conduit également loin des sentiers battus dans une odyssée géographique et introspective qui l'enrichit considérablement. Non content d'incarner avec talent tous les âges et tous les sexes au théâtre, au cinéma et à la télévision, il scénarise, réalise, met en scène et ce aussi bien dans les hautes sphères du ballet de l'Opéra Garnier que dans la petite lucarne à une heure de grande écoute. Ce qui fait de lui un créateur accessible à tous et un spécialiste du mélange des genres.

Conclusion:
En homme libre, Guillaume Gallienne ne se laisse pas cataloguer comme le montre ces épithètes qui laissent songeurs ("garçon manqué", "fille manquée", "garçon-fille"). Il en est de même pour son film: "comédie", "tragi-comédie", "tragédie drôle". Un peu tout cela à la fois non?


samedi 20 avril 2013

 
Je danse le Mia: Hit and Miss
 
Série britannique de 6 x 45 minutes créée par Paul Abbott (2012)
 
 
 
 
Thèmes: Identité, dualité, famille éclatée et recomposée, sexualité, féminité et masculinité, transsexualité.
 
 
Qui est Mia? Ce qui est sûr c'est que tout ce qui la concerne est fait de morceaux mal ajustés.
Son corps tout d'abord. Une scène montre le petit ami de Mia (très perturbé dans sa propre identité dès qu'il découvre celle de Mia) assemblant deux magazines, l'un avec un buste de femme et l'autre avec un entrejambe masculin. Quoi de mieux pour résumer la difficulté de vivre avec un corps transsexuel encore en chantier?
 
 
 Les scènes où Mia se regarde dans un miroir sont révélatrices et toujours extrêmes que se soit pour sublimer son reflet ou pour le flageller ou lui cracher dessus.
 
 
Son histoire est à l'image de son corps: duale. Dans sa jeunesse et pour l'état civil, Mia est Ryan, le fils cadet d'une famille de forains qui l'ont rejetée quand Ryan a entamé sa transformation. Pour tous les autres, elle est Mia, personnage qui n'a aucune existence légale. 
Enfin il y a sa double vie ou plutôt sa vie coupée en deux. D'un côté, Mia est une tueuse à gages solitaire, sorte d'oiseau de nuit guettant sa proie avant de l'abattre froidement. Pratiquant cette activité à Manchester, elle navigue entre le café de son patron et son nid, un loft à l'état de hangar où elle dissimule la plus grande partie de son matériel.
 

 
 De l'autre, Mia est le chef d'une famille recomposée de quatre enfants issus de trois pères différents et dont la mère est morte d'un cancer. Ils vivent dans une ferme isolée dans les environs de Manchester.
 
 
Cette famille est elle-même une sorte de patchwork rapiécé. Les deux aînés, Levi et Riley sans doute issus du même lit, sont des adolescents rebelles et un peu paumés. Ryan qui a 11 ans n'est autre que le fils biologique de Mia comme le souligne son prénom. Plusieurs scènes montrent qu'il est très perturbé par la mort de sa mère et par l'identité de son père. La plus jeune, Léonie s'est réfugiée dans un monde parallèle où sa mère est encore vivante.
 
 
En dépit de tous ses efforts, Mia ne parvient pas à cloisonner ses vies de façon étanche ce qui occasionne des drames. Riley tue son agresseur avec l'arme de Mia, Eddie, le patron de Mia, s'immisce dans la famille et prend Levi à son service sans que celui-ci ne se doute de la nature réelle de ses activités. La scène de fin pousse le drame de l'interpénétration des vies de Mia à son paroxysme.